Esprits vagabonds - Pénélope ou Parque des temps modernes, Barbara d’Antuono coud à la main comme d’autres
récitent des mantras et ne décide rien à l’avance. Elle laisse surgir des images sans cohérence particulière les unes
avec les autres, mais auxquelles elle donne corps dans une sorte d’urgence, sous la forme d’une bande non pas dessinée
mais cousue. L’exposition, tout comme le livre éponyme, parcourt sept années de ce travail assidu et patient à
travers près de 30 oeuvres textiles, véritables arrêts sur image faits des émotions et des souvenirs de l’artiste, comme
autant de portraits de l’humanité. Sa rencontre en Haïti avec le Baron Samedi et la mythologie liée au vaudou, ainsi
que les éclaboussures traumatiques du coup d’état de 1986 et des exactions dont elle a été témoin, l’ont précipitée
dans cette nécessité de dire l’indicible. Globe-trotter, elle nourrit son travail de ses voyages, notamment en Afrique
où elle retrouve le vaudou, et sur les pentes de tous les volcans du monde. Créatrice d’imaginaire, elle fait ainsi naître
sous ses doigts un monde jubilatoire, onirique, ironique, carnavalesque et parfois naïf. Imprégnée de ce savoureux
mélange, toute son oeuvre se condense dans un syncrétisme baroque flamboyant, où l’humour n’est jamais loin et
Haïti toujours présent.
Dans le livre, le jeune auteur haïtien Kevin Pierre pose sur ces images intemporelles les mots poétiques d’un engagement
contemporain pour la dignité de son pays. Leur échange de fils et de mots parle des choses de la vie et de
la mort, du vaudou ancestral et des difficultés d’aujourd’hui. Pour restituer au lecteur la puissance évocatrice de la
langue de l’auteur, les textes sont proposés en version bilingue français/créole haïtien.
Barbara d’Antuono, corse d’origine italienne née en 1961, quitte la France dans les années 80 pour les Antilles et la
Jamaïque. C’est dans le foisonnement artistique d’Haïti, où elle reste 5 ans, qu’elle s’initie à la peinture et à la sculpture,
notamment dans l’atelier du peintre haïtien Ronald Mevs. Se révèlent à elle le magique, ses démons intérieurs
et l’esthétique de son travail de plasticienne. Elle commence son parcours artistique par des assemblages de bois
et d’ossement, des collages, des totems, des fétiches… Babette El Saieh, fille du grand collectionneur Issa El Saieh,
lui donne sa première chance d’exposer à l’hôtel Olofson de Port-au-Prince. Après plusieurs expositions à Haïti, elle
quitte l’île à la suite du coup d’état de 1986. Rentrée en France, elle développe sa propre technique alliant sculpture,
peinture, graphisme, couture, poésie et musique. Dès 1995, elle expose régulièrement à Paris, en Allemagne...
Elle participe à plusieurs expositions collectives, dont une en hommage Wilfredo Lam à L’Unesco. Reconnue par les
galeries Art Factory et l’Art de Rien, elle a exposé plusieurs fois au Lavoir moderne Parisien ainsi qu’à la Chapelle du
Collège de Carpentras. En 2014, elle présente quelques tableaux aimantés, tableaux textiles et poupées fétiches dans
l’exposition collective Suivez mon regard, qui marquait l’acte de naissance de L’oeil de la femme à barbe.
Kevin Pierre est né en 1993 à Port au Prince en Haïti où il vit actuellement. Après des études classiques, il suit des
formations en art dramatique – écriture et jeu d’acteur – et en écriture poétique. Comédien, danseur, percussionniste,
il s’est déjà produit dans de nombreux spectacles et festivals ; il anime également des émissions de radio.
En 2019 il publie Mak pye solèy - un premier recueil de poèmes sur la mort, le vaudou, l’environnement, l’amour, le
sexe. C’est par l’intermédiaire de l’artiste Catherine Ursin - qui a réalisé le dessin de couverture du recueil - qu’il fait la
connaissance de L’oeil de la femme à barbe et de Barbara d’Antuono. Il rencontrera ces trois femmes pour la première
fois en France l’hiver 2019, à l’occasion de l’exposition d’artistes haïtiens que Catherine Ursin a organisée à Lyon à la
galerie La Rage et où elle l’a invité à présenter son livre.